Voici une information totalement ahurissante, assez bien résumée par la formule de l'article de Libération : "Un cadre de TF1 hostile à la loi HADOPI [projet de loi Création et Internet destiné à sanctionner le téléchargement sur Internet] a écrit à sa députée, Françoise de Panafieu. Qui a fait suivre à la Ministre de la Culture. Qui a transmis à la chaîne. Qui l'a licencié."
L’histoire commence le 19 février 2009. Ce jour là, Jérôme Bourreau-Guggenheim 31 ans, responsable du pôle innovation web de TF1, qui habite le XVIIème arrondissement de Paris, décide d’écrire à sa députée, Françoise de Panafieu. Le sujet : HADOPI. "Je suivais ça avec beaucoup d’attention, raconte Jérôme Bourreau à Libération, j’avais beaucoup lu sur la question, c’est un sujet qui me touche, d’abord parce que c’est mon métier, et puis parce que je suis passionné par le Web." Le nouveau et rutilant site de TF1, c’est lui. Pourquoi Panafieu ? "Mes parents m’ont toujours appris que quand on n’est pas d’accord, plutôt que de critiquer, il faut agir." Alors il écrit, par mail, à Françoise de Panafieu, tout le mal qu’il pense de HADOPI. Ce mail, il l’envoie de son adresse personnelle, chez Gmail. D’abord, il se présente [...]. Puis il déroule en termes mesurés son argumentaire anti-HADOPI. Qu’il conclut ainsi : "Madame la députée, je compte sur votre clairvoyance pour porter ma voix."
Mais sa voix va porter beaucoup plus loin. Le 4 mars, il est convoqué par Arnaud Bosom, Président de eTF1 qui s’occupe des activités numériques de la Une. "Et là, raconte Jérôme Bourreau, il me lit le mail mot à mot ! Et me dit qu’il ne peut pas laisser passer ça, que je n’ai pas le droit d’avoir cette opinion. Mais moi, je ne me suis pas écrasé, mon opinion est libre, et surtout je l’avais exprimée à titre privé dans une correspondance privée !" Comment le mail envoyé à Panafieu atterrit-il sur le bureau de Bosom ? Il lui explique que c’est le ministère de la Culture qui l’a transmis. A Jean-Michel Counillon, directeur juridique de TF1, même si aujourd’hui, officiellement, la Une dit n’en rien savoir. En avril, Bourreau est convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Et c’est jusqu’au licenciement que TF1 va.
Le 16 avril, Jérôme Bourreau reçoit sa lettre de "licenciement pour divergence forte avec la stratégie" de TF1. Etonnante lettre, dont Libération a eu copie : le groupe y reproche à son salarié son mail à Panafieu "par lequel [il] fais[ait] valoir, en tant que salarié du groupe, [son] hostilité au projet de loi Création et Internet". Et TF1 l’écrit noir sur blanc : "Cette correspondance nous est parvenue via le cabinet du Ministre de la Culture qui l’a adressée le jour même à la société TF1."
Mais le meilleur est à venir : "Nous considérons cette prise de position comme un acte d’opposition à la stratégie du groupe TF1 [pour qui] l’adoption de ce projet de loi est un enjeu fort", écrit la DRH. Avant de reprocher à Bourreau d’avoir "mis [le] groupe en difficulté, [sa] position faisant apparaître le défaut d’alignement d’un responsable “web” avec la position officielle défendue par la direction." On résume : en plus de la délation, on apprend que HADOPI est un enjeu fort de la stratégie de TF1, qui défend officiellement la loi. Ce qui laisse songeur quand on voit, sur le sujet, le manque d’objectivité des JT de la Une. Interrogé par Libération, un porte-parole de TF1 tente de se rattraper aux branches et évoque des "prises de position anti-HADOPI publiques de Jérôme Bourreau à l’intérieur de l’entreprise". Ce qui n’est pourtant pas mentionné dans la lettre de licenciement.
Jérôme Bourreau lui est "dégoûté" [...]. Son avocat, Me Emmanuel Noirot, est en train de saisir les prud’hommes : "Pour licenciement injustifié dans la mesure où l’opinion de mon client est une opinion privée politique mais aussi technique sur HADOPI et que, selon le code du travail, un employé ne peut pas être discriminé en fonction de ses opinion politiques." Me Noirot saisit également la Halde : "C’est une discrimination, un délit d’opinion, c’est purement scandaleux", assène-t-il. [...]
Si toutes ces informations se confirment, comme cela semble être le cas, alors on peut se demander quelles ont été les motivations du Ministère de la Culture qui ont conduit à l'envoi de ce mail à l'entreprise TF1, dans la mesure où malgré les déclarations de la Ministre de la Culture, Christine Albanel - "A ma connaissance, rien n'a été transmis à TF1" - il semble bien que ce soit le Ministère de la Culture qui ait fait parvenir ce mail à TF1, cela étant confirmé par des conseillers de la Ministre, expliquant avoir fait "une erreur en transférant ce mail".
Ensuite, que fait-on de la liberté d'opinion de chacun ? Comment peut-on sanctionner un employé qui interpelle la députée de sa circonscription, en lui livrant son opinion personnelle sur un sujet qui le passionne, même si elle est en contradiction avec l'opinion de ses patrons, s'il fait correctement son travail ? Cela signifie-t-il que les salariés de TF1 doivent non seulement travailler pour TF1, mais en plus, épouser les idées des dirigeants de l'entreprise ? Manifestement, cela semble être le cas et c'est profondément choquant.
Enfin sur le fond, j'ai depuis le début, considéré ce projet de loi HADOPI, comme une erreur. Mais aujourd'hui, il est condamné à l'échec. Je ne reviens pas sur le vote négatif des députés sur ce projet de loi, le 9 avril dernier et la scandaleuse obstination du gouvernement à vouloir faire revoter ce texte. Mais il se trouve que le vote d'un amendement par les eurodéputés, mercredi, à Strasbourg, considérant que la suspension de la connexion à Internet d'un internaute convaincu de téléchargement illégal ne pouvait intervenir, que par décision de justice, porte un coup sans doute décisif à ce projet de loi HADOPI. A quoi cela sert-il désormais de s'entêter dans une voie sans issue ? Sauf si bien-sûr, les candidats UMP aux prochaines élections européennes, font campagne pour que le droit européen ne prime plus sur le droit français...
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