Arnaud Clément - Les Carnets

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De Gaulle : une Europe des États !

Publié par Arnaud Clément sur 23 Septembre 2007, 23:01pm

Catégories : #Gaullisme, #Politique

L'Europe des Six (1957)

L'Europe des Six (1957)

   "Ainsi commencée, la mise en oeuvre du Marché commun va donner lieu à un vaste déploiement d'activités, non seulement techniques, mais aussi diplomatiques. En effet, l'opération, indépendamment de sa très grande portée économique, se trouve enveloppée d'intentions politiques caractérisées et qui tendent à empêcher la France de disposer d'elle-même. C'est pourquoi, tandis que la Communauté se bâtira dans les faits, je serai, à plusieurs reprises, amené à intervenir pour repousser les menaces qui pèsent sur notre cause.

   La première tient à l'équivoque originelle de l'institution. Celle-ci vise-t-elle - ce qui serait déjà beaucoup ! - à l'harmonisation des intérêts pratiques des six Etats, à leur solidarité économique vis-à-vis de l'extérieur et, si possible, à leur concertation dans l'action internationale ? Ou bien, est-elle destinée à réaliser la fusion totale de leurs économies et de leurs politiques respectives afin qu'ils disparaissent en une entité unique ayant son Gouvernement, son Parlement, ses lois, et qui régira à tous égards ses sujets d'origine française, allemande, italienne, hollandaise, belge ou luxembourgeoise, devenus des concitoyens au sein de la patrie artificielle qu'aura enfantée la cervelle des technocrates ? Il va de soi que, faute de goût pour les chimères, je fais mienne la première conception. Mais la seconde porte tous les espoirs et toutes les illusions de l'école supranationale.

   Pour ces champions de l'intégration, "l'exécutif" européen existe déjà bel et bien : c'est la Commission de la Communauté économique, formée, il est vrai de personnalités désignées par les six Etats, mais qui, cela fait, ne dépend d'eux à aucun égard. A entendre le choeur de ceux qui veulent que l'Europe soit une fédération, quoique sans fédérateur, l'autorité, l'initiative, le contrôle, le budget, apanages d'un gouvernement doivent désormais appartenir, dans l'ordre économique, à ce choeur d'experts, y compris - ce qui peut être indéfiniment extensif - au point de vue des rapports avec les pays étrangers. Quant aux ministres "nationaux", dont on ne peut encore se passer pour l'application, il n'est que de les convoquer périodiquement à Bruxelles, où ils recevront dans le domaine de leur spécialité les instructions de la Commission. D'autre part, les mêmes créateurs de mythes veulent faire voir dans l'Assemblée, réunissant à Strasbourg des députés et des sénateurs délégués par les Chambres des pays membres, un "Parlement européen", lequel n'a, sans doute, aucun pouvoir effectif, mais qui donne à "l'exécutif" de Bruxelles une apparence de responsabilité démocratique. [...]Charles-de-Gaulle-02.jpg

   A quelle profondeur d'illusion ou de parti pris faudrait-il plonger, en effet, pour croire que des nations européennes, forgées au long des siècles par des efforts et des douleurs sans nombre, ayant chacune sa géographie, son histoire, sa langue, ses traditions, ses institutions, pourraient cesser d'être elles-mêmes et n'en plus former qu'une seule ? A quelles vues sommaires répond la comparaison, souvent brandie par des naïfs, entre ce que l'Europe devrait faire et ce qu'ont fait les Etats-Unis, alors que ceux-ci furent créés, eux, à partir de rien, sur une terre nouvelle, par des flots successifs de colons déracinés ? Pour les Six, en particulier, comment imaginer que leurs buts extérieurs leur deviennent soudain commun, alors que leur origine, leur situation, leur ambition, sont très différentes ?"

"Mémoires d'Espoir - Le Renouveau (1958-1962)"
Charles de Gaulle - Plon, 1979

   Il est inutile d'essayer de parler pour le Général. La démarche la plus sage reste bien de se baser sur ses écrits, ses discours et ses actes pour faire ressortir la véritable pensée de Charles de Gaulle. Dans ce texte, tout est dit. Le Général de Gaulle entend bien veiller à ce que la Communauté des six Etats européens, ne sombre pas dans l'aventure supranationale, ou fédérale. Il le fera tout au long de sa présidence. Mais ensuite, cette politique a été bien infléchie, y compris par des personnalités se réclamant du Général de Gaulle.

   La situation historique des nations européennes n'a guère changé depuis les années 1960 (l'effondrement du bloc de l'Est mis à part). La dernière interrogation posée par le Général de Gaulle répond bien à une partie de la question qui était posée aux Français lors du referendum de mai 2005, sur le projet de traité constitutionnel : Comment un ministre des affaires étrangères européen, pourrait-il s'exprimer au nom, non plus de 6, mais désormais de 27 Etats aux intérêts pas toujours convergents ?

   Les Français, dans leur sagesse ont refusé de se lancer dans cette aventure. Espérons que notre Président de la République, Nicolas Sarkozy saura respecter la décision du peuple souverain. Rien n'est moins sûr, car aujourd'hui, il semble bien que le Chef de l'Etat entende se passer de la procédure référendaire pour ratifier les futures décisions en matière européenne. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet très prochainement.

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A
Rien n'est moins sûr en effet avec un Président de la République et un Ministre des Affaires étrangères plus atlantistes que jamais...Le Général nous manque cruellement...
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